Polémique autour d’une étude sur le CV anonyme

Le 31 mars 2011, une équipe de chercheurs du Crest (Centre de Recherche en Économie et Statistiques), de J-Pal Europe et de l’École d’Économie de Paris rendait publique une étude sur le CV anonyme. Pour réaliser cette enquête, ses auteurs se sont appuyés sur le réseau d’agences de Pôle emploi qui a diffusé auprès de 1000 établissements plusieurs milliers de candidatures, selon un protocole suivant « un principe d’affectation aléatoire (tirage au sort) permettant de comparer des offres avec CV anonymes (offres test) à des offres statistiquement identiques, mais recourant au CV nominatif (offres témoin) ».

En analysant les résultats des tests ainsi effectués, les chercheurs ont relevé que, « à la suite de l’anonymisation, les recruteurs hommes sélectionnent davantage de femmes, les recruteurs jeunes davantage de seniors. » Ce qui confirmerait, selon les auteurs de l’étude « l’hypothèse d’homophilie, c’est‐à‐dire la tendance des recruteurs à favoriser leurs semblables. »

Les chercheurs ont mis en évidence un second résultat plus inattendu : selon eux, « le CV anonyme pénalise les candidats issus de l’immigration ou résidant en Zone Urbaine Sensible (ZUS) ou dans une ville en Contrat Urbain de Cohésion Social (CUCS). » « Avec des CV nominatifs », constatent-ils en effet,  « les candidats issus de l’immigration et/ou résidant en ZUS‐CUCS ont 1 chance sur 10 d’obtenir un entretien, tandis que le reste des candidats a 1 chance sur 8. Lorsque les CV sont anonymisés, l’écart s’accroît : 1 chance sur 22 pour le premier groupe contre 1 chance sur 6 pour le second. » Le CV anonyme serait donc un obstacle à la pratique d’une discrimination positive : « il se peut que l’anonymisation du CV, en ôtant de l’information sur les candidats, ait empêché les employeurs de réinterpréter à l’avantage des candidats potentiellement discriminés les autres signaux du CV. Par exemple, les “trous” dans le CV pourraient être expliqués par un accès plus difficile à l’emploi lorsque le CV montre que le candidat réside en ZUS, mais pas lorsque cette information est masquée. »

Cette interprétation et les conclusions qui en sont tirées sont fermement dénoncées par Jean-François Amadieu. Sur son blog, le fondateur de l’Observatoire des discriminations relève d’abord que « toutes les études menées tant en France qu’à l’étranger ont montré que [cette bienveillance supposée à l’égard des publics potentiellement discriminés] n’était pas le comportement habituel des recruteurs (sondages, testings, études statistiques). » « En moyenne, un candidat au nom et prénom de type africain a 3 fois moins de chances de recevoir une réponse positive après l’envoi de sa candidature », rappelle-t-il. Ensuite, il estime que l’expérience menée valide l’hypothèse selon laquelle, pendant la phase de sélection, l’anonymisation des CV protège des discriminations qui, fussent-elles positives, demeurent illicites. Enfin, Jean-François Amadieu juge que ces résultats surprenants sont plutôt dus au « fait que les employeurs qui ont fait l’objet de l’étude étaient volontaires ou informés de l’analyse des discriminations qui serait réalisée dans leur entreprise. » « Comment imaginer que les recruteurs n’aient pas souhaité se comporter de manière vertueuse ? », s’interroge-t-il.

Cet « effet placebo » a certes été avancé comme une des explications possibles par les chercheurs, mais pour être écarté au terme dune étude complémentaire comparant cette fois-ci des offres nominatives en situation d’expérimentation avec des offres nominatives postérieures à l’expérimentation. Les chercheurs n’ont alors pas trouvé de différence significative dans le comportement des recruteurs pendant et après l’expérimentation. Il n’est cependant pas certain que cela suffise à écarter les doutes qui pèsent sur la fiabilité de l’étude. Pour SOS Racisme, cette étude montrerait en effet que l’« on cherche à prouver que [le CV anonyme] ne marche pas. »