Le contrat de location-gérance constitue un mécanisme juridique permettant à un propriétaire de fonds de commerce de confier l’exploitation de son activité à un tiers, tout en conservant la propriété des éléments corporels et incorporels. Sa nature synallagmatique implique des obligations réciproques entre les parties, dont l’inexécution soulève des problématiques juridiques complexes. Face à la multiplication des contentieux relatifs aux contrats de location-gérance non exécutés, une analyse approfondie des mécanismes de responsabilité et des voies de recours s’avère indispensable pour les praticiens du droit comme pour les opérateurs économiques. Ce travail examine les fondements juridiques, les conséquences pratiques et les stratégies contentieuses liées à l’inexécution de ce contrat si particulier.
Qualification et caractéristiques du contrat synallagmatique de location-gérance
Le contrat de location-gérance se définit, selon l’article L.144-1 du Code de commerce, comme la convention par laquelle le propriétaire d’un fonds de commerce en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l’exploite à ses risques et périls. Cette convention présente un caractère synallagmatique manifeste puisqu’elle engendre des obligations réciproques entre les parties contractantes. D’une part, le loueur (ou bailleur) s’engage à mettre à disposition du locataire-gérant les éléments corporels et incorporels du fonds, à garantir la jouissance paisible et à s’abstenir de tout acte de concurrence déloyale. D’autre part, le locataire-gérant s’oblige à verser une redevance, à exploiter le fonds en bon père de famille et à le restituer à l’issue du contrat.
La jurisprudence a précisé les contours de ce contrat, notamment dans un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 4 octobre 2011, qui rappelle que « la location-gérance suppose la mise à disposition d’un fonds de commerce comprenant des éléments corporels et incorporels, dont la clientèle ». Cette exigence distingue la location-gérance d’autres contrats comme le bail commercial ou la gérance-mandat.
Le caractère synallagmatique du contrat de location-gérance implique plusieurs conséquences juridiques majeures :
- L’application de l’exception d’inexécution permettant à une partie de suspendre l’exécution de ses obligations face au manquement de son cocontractant
- La possibilité de mettre en œuvre la résolution judiciaire sur le fondement de l’article 1224 du Code civil
- L’éventuelle insertion d’une clause résolutoire prévoyant la résiliation de plein droit en cas d’inexécution
La Cour de cassation a confirmé dans un arrêt du 7 janvier 2014 que « le contrat de location-gérance est soumis au droit commun des contrats synallagmatiques en ce qui concerne les sanctions de l’inexécution ». Cette position a été réaffirmée après la réforme du droit des obligations de 2016, renforçant ainsi la sécurité juridique pour les acteurs économiques.
La validité du contrat de location-gérance est soumise à des conditions de forme strictes, dont le non-respect peut entraîner la nullité de la convention. L’article L.144-3 du Code de commerce impose notamment une publicité dans un journal d’annonces légales, ainsi qu’une inscription modificative au Registre du Commerce et des Sociétés. Ces formalités constituent des préalables nécessaires à l’exécution valable du contrat et leur omission peut constituer une cause d’inexécution imputable au loueur.
Les manifestations de l’inexécution dans le cadre de la location-gérance
L’inexécution du contrat de location-gérance peut se manifester sous diverses formes, tant du côté du loueur que du locataire-gérant. Ces manquements varient en nature et en gravité, déterminant ainsi les recours possibles pour la partie lésée.
Inexécution imputable au loueur
Le loueur peut manquer à ses obligations de plusieurs manières. Premièrement, il peut ne pas mettre effectivement à disposition les éléments du fonds promis contractuellement. La jurisprudence considère cette situation comme particulièrement grave, comme l’illustre un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 mars 2018 qui a retenu que « l’absence de remise des éléments essentiels du fonds constitue une inexécution substantielle justifiant la résolution du contrat ».
Deuxièmement, le loueur peut violer son obligation de garantie en cas d’éviction ou de troubles de jouissance. Dans un arrêt du 15 novembre 2016, la Chambre commerciale a considéré que « le bailleur qui reprend partiellement l’exploitation du fonds loué manque à son obligation de garantie et engage sa responsabilité contractuelle ». Cette position s’inscrit dans la continuité de la doctrine qui souligne l’importance de la garantie due par le loueur.
Troisièmement, le défaut d’accomplissement des formalités légales par le loueur peut constituer une inexécution. La Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 9 juillet 2013, que « le défaut de publicité de la location-gérance, imputable au loueur, constitue un manquement à ses obligations contractuelles permettant au locataire-gérant de solliciter des dommages-intérêts ».
Inexécution imputable au locataire-gérant
Du côté du locataire-gérant, l’inexécution se manifeste principalement par le non-paiement de la redevance convenue. Cette situation est fréquemment rencontrée dans la pratique et donne lieu à un contentieux abondant. Dans un arrêt du 3 mai 2017, la Cour de cassation a précisé que « le défaut de paiement de deux échéances de redevance constitue un manquement grave justifiant la mise en œuvre de la clause résolutoire ».
Une autre forme d’inexécution concerne la non-exploitation ou la mauvaise exploitation du fonds. Le Tribunal de commerce de Lyon, dans un jugement du 20 septembre 2019, a considéré que « l’abandon de l’exploitation pendant plus de trois mois sans motif légitime constitue une inexécution justifiant la résiliation du contrat aux torts du locataire-gérant ».
Enfin, le non-respect des normes réglementaires applicables à l’activité peut caractériser une inexécution contractuelle. La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 14 février 2020, a jugé que « le locataire-gérant qui exploite le fonds en violation des règles d’hygiène et de sécurité manque à son obligation d’exploitation en bon professionnel et engage sa responsabilité envers le loueur ».
- L’inexécution peut être totale (absence complète d’exécution) ou partielle (exécution incomplète ou défectueuse)
- Elle peut être temporaire (retard) ou définitive (impossibilité d’exécution)
- Elle peut résulter d’une faute intentionnelle ou d’une négligence de la partie défaillante
La qualification précise de l’inexécution revêt une importance capitale pour déterminer les sanctions applicables et les stratégies contentieuses à mettre en œuvre par la partie lésée.
Les mécanismes juridiques de sanction de l’inexécution
Face à l’inexécution d’un contrat de location-gérance, le droit français offre un éventail de mécanismes sanctionnateurs permettant à la partie lésée de faire valoir ses droits. Ces mécanismes, issus tant du droit commun des contrats que des dispositions spécifiques au contrat de location-gérance, peuvent être mis en œuvre selon des modalités variées.
L’exception d’inexécution
L’exception d’inexécution, consacrée par l’article 1219 du Code civil, constitue un moyen de défense efficace pour la partie confrontée à l’inexécution de son cocontractant. Ce mécanisme permet de suspendre l’exécution de sa propre obligation jusqu’à ce que l’autre partie exécute la sienne. Dans le cadre de la location-gérance, la jurisprudence a validé l’usage de cette exception, notamment dans un arrêt de la Chambre commerciale du 5 avril 2018, où il a été jugé que « le locataire-gérant peut légitimement suspendre le paiement des redevances lorsque le loueur manque gravement à son obligation de garantie ».
Cette exception présente l’avantage de la célérité puisqu’elle s’exerce sans intervention préalable du juge. Toutefois, son usage doit respecter certaines conditions :
- L’inexécution de l’autre partie doit présenter une gravité suffisante
- Les obligations respectives doivent être interdépendantes
- La mesure doit respecter le principe de proportionnalité
La Cour de cassation a rappelé ces exigences dans un arrêt du 12 novembre 2019, précisant que « l’exception d’inexécution doit être exercée de bonne foi et de manière proportionnée à l’inexécution constatée ».
La résolution du contrat
La résolution constitue une sanction plus radicale, mettant fin au contrat de location-gérance. Depuis la réforme du droit des obligations, l’article 1224 du Code civil prévoit trois voies de résolution : judiciaire, par notification après mise en demeure, ou par le jeu d’une clause résolutoire.
La résolution judiciaire demeure la voie classique, comme l’illustre un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 3 mars 2021, qui a prononcé « la résolution du contrat de location-gérance aux torts exclusifs du locataire-gérant en raison du non-paiement persistant des redevances malgré plusieurs mises en demeure ».
La résolution par notification, innovation de la réforme de 2016, permet à une partie de mettre fin au contrat par notification après mise en demeure infructueuse. Cette voie gagne en popularité dans la pratique des affaires pour sa rapidité, bien que la jurisprudence en matière de location-gérance reste encore en construction sur ce point.
Enfin, la clause résolutoire constitue un outil fréquemment utilisé dans les contrats de location-gérance. La Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 7 février 2018, que « la mise en œuvre d’une clause résolutoire dans un contrat de location-gérance nécessite une mise en demeure préalable et le respect d’un délai raisonnable, sauf stipulation contraire expresse ».
L’exécution forcée
L’exécution forcée en nature, prévue par l’article 1221 du Code civil, permet à la partie lésée d’obtenir l’exécution de l’obligation inexécutée. Dans le cadre de la location-gérance, cette voie peut s’avérer pertinente pour contraindre le loueur à mettre effectivement à disposition les éléments du fonds ou pour obliger le locataire-gérant à payer les redevances dues.
La jurisprudence reconnaît cette possibilité, comme l’illustre un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 17 septembre 2020, qui a ordonné « l’exécution forcée de l’obligation du loueur de réaliser les travaux prévus contractuellement dans les locaux mis à disposition du locataire-gérant ».
Toutefois, l’exécution forcée connaît des limites, notamment l’impossibilité matérielle ou morale, ou encore la disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. Ces restrictions s’appliquent pleinement en matière de location-gérance, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 11 décembre 2019.
La responsabilité contractuelle et l’indemnisation du préjudice
L’inexécution du contrat de location-gérance peut engendrer des préjudices significatifs pour la partie lésée, justifiant l’allocation de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Ce mécanisme indemnitaire, encadré par les articles 1231 et suivants du Code civil, obéit à des règles spécifiques dont l’application au contrat de location-gérance mérite une analyse approfondie.
Conditions d’engagement de la responsabilité contractuelle
La mise en œuvre de la responsabilité contractuelle dans le cadre d’un contrat de location-gérance non exécuté suppose la réunion de plusieurs conditions cumulatives. Premièrement, l’existence d’une inexécution contractuelle doit être établie. La Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 9 janvier 2019, que « l’inexécution s’apprécie au regard des obligations expressément stipulées au contrat ainsi que des obligations implicites découlant de la nature même du contrat de location-gérance ».
Deuxièmement, un préjudice doit être caractérisé. Dans le cadre de la location-gérance, ce préjudice peut prendre différentes formes : perte financière liée au non-paiement des redevances, dépréciation de la valeur du fonds due à une mauvaise exploitation, manque à gagner résultant de l’impossibilité d’exploiter le fonds, etc. La jurisprudence exige que ce préjudice soit certain, comme l’a rappelé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 14 mai 2020.
Troisièmement, un lien de causalité doit exister entre l’inexécution et le préjudice allégué. Ce lien doit être direct et certain, conformément aux exigences posées par l’article 1231-4 du Code civil. La Chambre commerciale, dans un arrêt du 6 novembre 2018, a ainsi rejeté une demande d’indemnisation en considérant que « le préjudice invoqué par le loueur résultait non pas de l’inexécution contractuelle du locataire-gérant mais de la conjoncture économique défavorable ».
Évaluation et calcul des dommages-intérêts
L’évaluation des dommages-intérêts en matière de location-gérance soulève des questions complexes, notamment en raison de la difficulté d’apprécier certains préjudices comme la perte de valeur du fonds ou l’atteinte à la clientèle. Les tribunaux ont développé plusieurs méthodes d’évaluation adaptées aux spécificités de ce contrat.
Pour le loueur victime d’une inexécution, les dommages-intérêts peuvent inclure :
- Le montant des redevances impayées, augmenté des intérêts légaux
- La dépréciation du fonds résultant d’une mauvaise exploitation
- Les frais engagés pour la remise en état du fonds
- Le manque à gagner lié à l’impossibilité de conclure un nouveau contrat
Pour le locataire-gérant lésé, l’indemnisation peut couvrir :
- Les investissements réalisés en pure perte
- Le manque à gagner résultant de l’impossibilité d’exploiter le fonds
- Les frais de réinstallation dans un autre local
- Le préjudice lié à la perte de clientèle personnelle
La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 22 octobre 2019, a ainsi alloué au locataire-gérant « une indemnité correspondant aux investissements réalisés et non amortis, ainsi qu’au manque à gagner calculé sur la base du bénéfice moyen des trois derniers exercices, multiplié par la durée restante du contrat ».
Le rôle des clauses limitatives de responsabilité
Les contrats de location-gérance comportent fréquemment des clauses limitatives ou exclusives de responsabilité visant à encadrer les conséquences indemnitaires d’une inexécution. La validité et l’efficacité de ces clauses sont soumises à des conditions strictes.
La jurisprudence considère que ces clauses sont en principe valables, sous réserve qu’elles ne vident pas l’obligation de sa substance et qu’elles n’écartent pas la responsabilité en cas de dol ou de faute lourde. Dans un arrêt du 8 juin 2017, la Chambre commerciale a ainsi écarté l’application d’une clause limitative au motif que « l’inexécution du loueur procédait d’une faute lourde caractérisée par une négligence d’une extrême gravité confinant au dol ».
Par ailleurs, les clauses pénales fixant forfaitairement le montant de l’indemnisation due en cas d’inexécution sont fréquentes dans les contrats de location-gérance. Le juge dispose d’un pouvoir de révision de ces clauses lorsque le montant prévu est manifestement excessif ou dérisoire, conformément à l’article 1231-5 du Code civil. La Cour de cassation a fait application de ce pouvoir dans un arrêt du 13 mars 2020, en réduisant le montant d’une clause pénale prévue dans un contrat de location-gérance qu’elle jugeait « manifestement disproportionnée au regard du préjudice effectivement subi par le loueur ».
Stratégies contentieuses et règlement des litiges en matière de location-gérance
Face à l’inexécution d’un contrat de location-gérance, les parties disposent de diverses options pour faire valoir leurs droits et défendre leurs intérêts. Le choix d’une stratégie contentieuse adaptée revêt une importance capitale et doit prendre en compte plusieurs facteurs, notamment la nature de l’inexécution, l’urgence de la situation et les enjeux économiques sous-jacents.
Prévention et gestion amiable des différends
La prévention des litiges commence dès la rédaction du contrat de location-gérance. Un contrat bien rédigé, précisant clairement les obligations des parties, les cas d’inexécution et leurs conséquences, constitue un premier rempart contre les contentieux. La pratique notariale recommande l’insertion de clauses détaillées concernant les modalités de révision des redevances, les obligations d’entretien et de réparation, ainsi que les conditions de restitution du fonds.
En cas d’inexécution, le recours à des modes alternatifs de règlement des différends (MARD) peut s’avérer judicieux. La médiation commerciale, en particulier, présente des avantages significatifs : confidentialité, rapidité, préservation des relations d’affaires. Un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 17 septembre 2020 a d’ailleurs homologué un accord de médiation entre un loueur et un locataire-gérant, soulignant « l’intérêt de cette solution négociée permettant la poursuite des relations contractuelles dans un cadre assaini ».
La mise en demeure constitue un préalable quasi-systématique à toute action judiciaire. Elle doit être précise et circonstanciée, détaillant les manquements reprochés et fixant un délai raisonnable pour y remédier. La jurisprudence attache une importance particulière à la qualité de cette mise en demeure, comme l’illustre un arrêt de la Chambre commerciale du 4 février 2019, qui a rejeté une demande en résolution au motif que « la mise en demeure adressée au locataire-gérant ne précisait pas suffisamment les manquements allégués ».
Procédures d’urgence et mesures conservatoires
Face à une inexécution grave menaçant la pérennité du fonds de commerce, le recours à des procédures d’urgence peut s’imposer. Le référé, prévu par les articles 834 et suivants du Code de procédure civile, permet d’obtenir rapidement des mesures provisoires. Dans un arrêt du 11 octobre 2018, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a ainsi ordonné en référé « la désignation d’un administrateur provisoire chargé de gérer le fonds dans l’attente d’une décision au fond sur la résolution du contrat de location-gérance ».
Les mesures conservatoires, régies par les articles L.511-1 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution, constituent une autre option stratégique. La saisie conservatoire des éléments du fonds ou des comptes bancaires du débiteur peut s’avérer pertinente pour garantir le recouvrement des sommes dues. Le Tribunal de commerce de Marseille, dans une ordonnance du 7 juillet 2020, a ainsi autorisé « la saisie conservatoire du matériel d’exploitation et des marchandises du fonds mis en location-gérance, face au risque avéré de détournement par le locataire-gérant défaillant ».
Ces mesures d’urgence doivent être maniées avec précaution, car leur mise en œuvre abusive peut engager la responsabilité de leur auteur. La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 5 mars 2019, que « l’exercice d’une voie de droit, comme une saisie conservatoire, ne dégénère en abus que s’il révèle une légèreté blâmable ou une intention de nuire ».
Contentieux au fond et spécificités procédurales
Le contentieux au fond relatif à l’inexécution d’un contrat de location-gérance relève de la compétence du Tribunal de commerce, s’agissant d’un litige entre commerçants concernant un acte de commerce. Cette compétence d’attribution est d’ordre public, comme l’a rappelé la Chambre commerciale dans un arrêt du 14 janvier 2020.
La question de la preuve revêt une importance capitale dans ces litiges. La charge de la preuve incombe à la partie qui invoque l’inexécution, conformément à l’article 1353 du Code civil. Dans la pratique, cette preuve peut s’avérer délicate, notamment lorsqu’il s’agit d’établir une mauvaise exploitation ou une dépréciation du fonds. Le recours à une expertise judiciaire est fréquent pour évaluer l’état du fonds et quantifier le préjudice subi.
Les délais de prescription applicables méritent une attention particulière. Depuis la réforme de la prescription civile, l’action en responsabilité contractuelle se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Toutefois, certaines actions spécifiques peuvent être soumises à des délais différents, comme l’action en garantie des vices cachés qui doit être intentée dans un délai de deux ans à compter de leur découverte.
Enfin, l’exécution des décisions judiciaires peut soulever des difficultés pratiques, notamment en cas d’insolvabilité du débiteur. Les voies d’exécution forcée, comme la saisie-vente ou la saisie-attribution, constituent alors des outils précieux pour le créancier. La Cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 9 novembre 2020, a validé une saisie-vente pratiquée sur les éléments corporels du fonds, considérant que « malgré leur affectation à l’exploitation du fonds, ces biens demeuraient dans le patrimoine du locataire-gérant défaillant et pouvaient donc faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée ».
Perspectives d’évolution et recommandations pratiques face à l’inexécution
L’analyse des tendances jurisprudentielles et législatives récentes permet d’identifier certaines évolutions marquantes dans le traitement juridique de l’inexécution des contrats de location-gérance. Ces évolutions s’accompagnent de recommandations pratiques destinées aux acteurs économiques et aux professionnels du droit confrontés à cette problématique.
Évolutions jurisprudentielles et législatives
Une tendance notable dans la jurisprudence récente concerne l’appréciation de plus en plus objective de l’inexécution contractuelle. Les tribunaux tendent à s’affranchir progressivement de la notion de faute pour se concentrer sur la simple constatation d’une inexécution matérielle. Cette approche, consacrée par la réforme du droit des obligations de 2016, se manifeste notamment dans un arrêt de la Chambre commerciale du 16 février 2021, qui a jugé que « l’inexécution contractuelle dans le cadre d’une location-gérance s’apprécie objectivement, indépendamment de toute considération relative à la bonne ou mauvaise foi du débiteur ».
Par ailleurs, les juges accordent une attention croissante au principe de proportionnalité dans le choix des sanctions de l’inexécution. La Cour de cassation, dans un arrêt du 7 juillet 2020, a ainsi censuré une décision qui avait prononcé la résolution d’un contrat de location-gérance pour un retard de paiement jugé insuffisamment grave au regard de la durée totale du contrat et du montant des sommes déjà versées.
Sur le plan législatif, la loi PACTE du 22 mai 2019 a introduit plusieurs dispositions susceptibles d’impacter indirectement le régime de la location-gérance, notamment en simplifiant certaines formalités administratives. Cette simplification pourrait réduire les cas d’inexécution liés à des manquements formels, mais appelle à une vigilance accrue dans la rédaction des clauses contractuelles.
Recommandations pour la rédaction des contrats
Face aux risques d’inexécution, la rédaction du contrat de location-gérance revêt une importance stratégique. Plusieurs recommandations peuvent être formulées à cet égard.
Premièrement, il convient de définir précisément les obligations essentielles des parties et les modalités de leur exécution. Cette précision rédactionnelle facilite la caractérisation d’une éventuelle inexécution et limite les contestations ultérieures. La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 3 décembre 2020, a ainsi rejeté une demande en résolution au motif que « le contrat ne définissait pas avec suffisamment de précision l’obligation prétendument inexécutée ».
Deuxièmement, l’insertion de clauses résolutoires bien rédigées constitue une protection efficace. Ces clauses doivent énumérer limitativement les manquements justifiant la résolution de plein droit, préciser les modalités de mise en demeure et prévoir un délai raisonnable pour remédier à l’inexécution. La pratique notariale recommande également d’y adjoindre des clauses pénales proportionnées au préjudice potentiel.
Troisièmement, la prévision de mécanismes d’adaptation du contrat face aux difficultés d’exécution peut s’avérer judicieuse. Il peut s’agir de clauses de renégociation, de médiation obligatoire ou encore de hardship inspirées des Principes UNIDROIT. Ces mécanismes favorisent la pérennité de la relation contractuelle en permettant son adaptation aux circonstances imprévues.
Enfin, une attention particulière doit être portée à la répartition des risques entre les parties. Le contrat peut utilement préciser les cas de force majeure reconnus par les parties, les modalités de preuve de l’inexécution ou encore les limitations de responsabilité acceptées. La Chambre commerciale, dans un arrêt du 9 juin 2021, a validé une clause répartissant les risques d’exploitation entre loueur et locataire-gérant, considérant qu’elle « procédait de la liberté contractuelle et ne créait pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ».
Approche préventive et gestion stratégique de l’inexécution
Au-delà des aspects purement juridiques, la gestion de l’inexécution d’un contrat de location-gérance appelle une approche stratégique globale, intégrant des dimensions économiques et relationnelles.
Une démarche préventive suppose d’abord une évaluation rigoureuse des cocontractants potentiels. Pour le loueur, l’examen de la situation financière et de l’expérience professionnelle du candidat locataire-gérant s’avère indispensable. Pour le locataire-gérant, l’analyse de la rentabilité réelle du fonds et de son potentiel de développement constitue un préalable nécessaire. Ces vérifications peuvent être formalisées par des audits précontractuels dont les résultats sont annexés au contrat.
En cours d’exécution, la mise en place d’un suivi régulier des obligations contractuelles permet d’identifier rapidement les difficultés et d’y remédier avant qu’elles ne dégénèrent en contentieux. Ce suivi peut prendre la forme de réunions périodiques, de reportings financiers ou de visites du fonds. La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 5 avril 2021, a d’ailleurs reconnu qu’un « suivi défaillant de l’exécution du contrat par le loueur avait contribué à l’aggravation du préjudice qu’il invoquait ».
Face à une inexécution avérée, l’approche graduée des sanctions constitue souvent la stratégie la plus efficiente. Cette approche consiste à privilégier d’abord les mesures conservatoires et les tentatives de régularisation avant d’envisager la résolution du contrat. Elle présente l’avantage de préserver la valeur économique du fonds tout en ménageant la possibilité d’un règlement amiable.
Enfin, la documentation systématique des incidents d’exécution et des échanges entre les parties revêt une importance capitale en cas de contentieux ultérieur. Cette documentation peut inclure des constats d’huissier, des échanges de courriers recommandés ou des procès-verbaux de réunion. La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 janvier 2022, a ainsi rejeté une demande en résolution faute de preuves suffisantes des manquements allégués, soulignant que « la charge de la preuve de l’inexécution incombe au créancier qui l’invoque et nécessite des éléments probatoires précis et concordants ».
